25 déc. 2012

Hacia la Ciudad Perdida

Après avoir bien bullé sur les plages idylliques de Tayrona, et comme je m’accoutume un peu trop aux petites fritures qui se vendent à tous les coins de rue, il est temps de se refaire une santé. Et de reprendre une dose de culture par la même occasion, histoire de se donner bonne conscience. Parce que la côte caraïbe c’est surtout des plages, mais pas que.

L’autre morceau de choix qui s’offre aux voyageurs autour de Santa Marta, c’est la Ciudad Perdida (Cité Perdue). Rien que le nom évoque déjà bien des choses, on pense tout de suite Cité d’Or, cultures anciennes, mondes magiques et inatteignables… Bon là j’avoue je fais un peu monter la sauce, mais il y a un peu de ça quand même.



La Cité Perdue est donc bien le vestige d’une cité de l’ancienne civilisation Tayrona, nichée au cœur de la Sierra Nevada, cette belle chaîne de montagne recouverte de jungle et qui culmine à plus de 5000 mètres juste au bord de la mer. Là vous me dites, pour qu’elle eut été perdue à un moment donné, il faut au moins un décor comme ça. C’est pas faux je vous répondrais, mais y a mieux : la Sierra Nevada est aussi connue pour grouiller d’une faune diverse et peu accueillante : FARC, paramilitaires, autres groupes armés et notoirement pas du tout commodes, paysans et guérilleros cultivateurs de coca... Bref plein de gens bien. Là tout de suite on rigole moins ! Mais bon avec les immenses progrès réalisés par la Colombie en termes de sécurité, la diminution drastique de la production de cocaïne, et le développement du tourisme, le chemin vers la Cité est maintenant réputé pour être sûr, car dûment surveillé par l’armée. Toute l’année les groupes de randonneurs mêlent leur transpiration à l’humidité de la jungle pour aller contempler la petite merveille.

La Ciudad Perdida, c’est comme le Machu Picchu en différent et en plus modeste. Elle a été fondée vers 800 av. J.-C., 650 ans plus tôt que Machu Picchu. Sa découverte sent le soufre, sur fond de chercheurs  d’or et de pilleurs qui s’entretuent (plus de détails sur sa découverte ICI). Mais elle est surtout beaucoup moins accessible donc beaucoup moins fréquentée et plus préservée. A moins de sortir tout droit de la légion, il faut compter sur cinq jours de marche aller-retour. Qu’est-ce qui pouvait me plaire davantage ?!

Une Jeep bien remplie nous extirpe de la civilisation et se met à grimper dans la Sierra Nevada par un chemin bien défoncé. Nous croisons quelques cabanes très rustiques et dérisoires, et au bout d’une heure de cahots très préjudiciables à nos séants respectifs, nous arrivons dans un petit village qui paraît étonnamment sain pour son isolement, avec des maisons en très bon état. Il s’appelle Machete Pelao, on m’a dit que le nom serait lié à une certaine tendance qu’ont ses habitants à régler leurs problèmes à coup de machettes.




Déjeuner et timide prise de contact avec le groupe pléthorique de randonneurs. Il faut dire qu’il n’est pas possible d’aller à la Cité Perdue par soi-même, on est obligé de se joindre à un tour organisé par les agences. Et le prix est non négociable, plutôt salé d’ailleurs (environ 270 €), pour reverser une partie aux communautés qui sont « dérangées » et éviter les pratiques sauvages des agences peu scrupuleuses. Et comme les agences s’entendent bien ils réunissent les groupes et marchent ensemble pour avoir plus de guides et mieux gérer les problèmes. Je suis d’habitude allergique aux groupes énormes, mais pour une fois ça me laisse indifférent. L’observation et l’analyse sociologique de chaque individu au sein de ce genre de groupe restera un de mes passe-temps favoris (doux souvenir des voyages UCPA…).

Nous commençons par une après-midi de grimpette, rien de très technique mais ça monte et la moiteur nous imprègne, nous détrempe. Le taux d'hygrométrie est de 99% ! Quelques traversées de rivières, histoire d’égaliser le taux d’humidité au niveau des pieds ; quelques pauses où l’on nous sert de la pastèque, des oranges comme je n’en avais jamais mangé dans ma vie.
En fin d’après-midi nous arrivons sur une crête avec une superbe vue sur un vallon et les montagnes alentour. A flanc de montagne on voit de petites surfaces dégagées, ce sont d’anciens champs de coca, qui ont été arrachés soit à force de répression (épandage de gaz par les avions du gouvernement) soit par la dissuasion (menace de confiscation des terres, ben pire qu’une peine de prison). Apparemment les choses n’évolueraient déjà plus dans le bon sens (article du Monde ICI).




Nous arrivons au campement juste quand tombe l’obscurité, et juste avant que les nuages se crèvent comme une baudruche. Parfait timing, on y a échappé pour cette fois mais on ne perd rien pour attendre.
Les guides sont aux petits soins et cuisinent très bien ; comme dans tout trek qui se respecte nous allons nous coucher tôt, chacun dans son hamac et sous une moustiquaire. Juste après avoir évité de marcher sur les énormes grenouilles qui se promènent dans les douches.
  
Au lever il faut soigneusement inspecter et secouer ses chaussures et vêtements avant de les enfiler, pour s’assurer qu’il n’y a pas de scorpions ou de serpents dedans. Eh oui mes bonnes gens, c’est la jungle ici ! Et c’est parti pour 4 heures de marche en montée, en descente, dans la boue, sous le soleil qui tape fort, dans 100% d’humidité, à travers la jungle luxuriante. Transpiration extrême, chacun se dégoûte soi-même de sa propre viscosité. Mais la faune est superbe, comme ce papillon bleu que j’ai difficilement immortalisé.




On croise aussi des porcins, des poules, et des dindons sur le chemin. Il faut à nouveau traverser une rivière, l’eau jusqu’aux cuisses. Puis on aperçoit le premier village Kogi, l’une des trois communautés indigènes qui peuplent encore la Sierra Nevada et descendent du peuple précolombien Tayrona. Ils ne sont pas bavards, vivent encore dans des conditions très rustiques … et ils me font penser aux indiens de Tintin et l’Oreille Cassée avec leur habit beige et leurs longs cheveux noirs. Ils portent aussi, enfants comme adultes, une besace en bandoulière qui ne les quitte jamais. Ils sont vraiment mutiques, ils nous renvoient timidement la politesse quand nous leur disons bonjour.

On nous demande expressément de ne pas prendre de photos d’eux sans leur demander la permission, parce qu’ils considèrent qu’on leur vole leur âme. Et demandent illico 5000, 10000, 20000 pesos pour le préjudice (le paiement ayant pour effet miraculeux d’annuler le vol d’âme, ils sont forts ces pesos). Heureusement on peut prendre des photos des enfants, leur âme serait mieux attachée au corps et moins facilement volable.




Le camp nous tend les bras vers midi, avec ses splendides lits parfaitement propres et blancs sous moustiquaire, un luxe dans un environnement pareil. Lessive basique des fringues imbibées de transpiration (en sachant qu’elles seront encore trempées le lendemain matin, rien ne sèche ici), baignade dans la rivière au courant surpuissant, glandouille au camp toute l’après-midi, et … une énorme averse qui nous tombe dessus. Ici c’est simple, les matinées sont ensoleillées et torrides, les après-midis voit le ciel s’abattre sur nos têtes. C’est systématique, seule l’heure varie légèrement d’un jour à l’autre.

On croise de plus en plus de Kogis dans les parages. Pendant le dîner (toujours royal et préparé amoureusement par un des guides malgré la cuisine rustique), un vieux Kogi à l'air hagard et perdu, voire passablement enfumé, traîne à la cuisine pendant deux heures, nous regarde circuler avec les yeux d’un enfant timide qui découvre tout, et attend clairement qu’on lui donne à manger, ce qu’il finit par obtenir.
Après une nuit royale dans ces lits immaculés, c’est reparti pour une matinée de marche dégoulinante. Un couple de britanniques reste coincé au camp, lui a le ventre en vrac.

Parallèlement à la fascinante communauté Kogi, un cas sociologique nous intrigue tous, en la personne d’un espagnol du groupe qui a tendance à ne pas mettre souvent de pantalon, pour se promener en magnifique slip blanc, même pendant les heures de marche. Observation faite, il s’agit d’un maillot de bain, mais tout le monde pense qu’il se balade en slip. Et le choix du blanc n’est peut-être pas très judicieux en pleine jungle, la réalité nous donne vite raison mais lui persévère dans ses choix stylistiques particuliers (j’oublie de dire qu’il a aussi un marcel rouge et une tête de quarantenaire plantée sur un corps de garçon, alors forcément c’est difficile de ne pas bloquer). J’avais prévenu que ce trek virerait à l’analyse sociologique, j’avais prévenu !

Bref nous essayons d’oublier le slip blanc pour regarder où nous posons les pieds, et rapidement nous croisons une patrouille de soldats, ils ont été relayés la veille de la surveillance de la Cité Perdue, après 3 mois à se tourner les pouces hors de la civilisation. Leur présence est indispensable pour sécuriser les groupes de marcheurs, mais comme ils sont là il ne se passe rien. Je repère un pétard impressionnant au sol, d’un style directement issu de la Prohibition. Je demande l’autorisation de la prendre en photo, que j’obtiens, et voilà le jouet :




Quatre heures de marche toujours splendide, montées en sueur, descentes dans la boue, rivières jusqu’aux genoux,… , jusqu’au troisième camp où nous passons l’après-midi. J’ai juste le temps de me refaire une beauté dans la rivière avant qu’un nouveau déluge s’abatte sur le camp. Pff, d’façon on le savait. Dans le groupe, quelques-uns commencent à tomber au champ d’odeur et se succèdent aux toilettes, très fonctionnelles fort heureusement malgré l’isolement en montagne. Etrange début d’épidémie que la fatigue naissante, ajoutée à l’inconfort de l’humidité permanente, pourrait expliquer … mais pas que !

Le lendemain matin, c’est la moitié du groupe qui est touchée par les gentilles bactéries qui ont de toute évidence été oubliées dans un des repas. Je résiste toujours, mis à part ma mauvaise nuit et un petit mal de tête. Seul Mister Slip Blanc est vraiment trop mal en point pour poursuivre.



Seule une heure de marche est nécessaire, sur un chemin étroit et ultra-glissant au-dessus de la rivière, pour arriver au pied des 1200 marches, toutes petites et très glissantes, qui mènent à la Cité. Ce n’est pas pour nous aider à stopper la transpiration, c’est particulièrement éreintant mais le moral est là.

Nous découvrons la Cité et ses 170 et quelque terrasses. C’est d’ailleurs tout ce que l’on voit, mais le lieu est magique, surtout dans sa partie principale, dégagée, faisant face à la montagne recouverte d’une jungle dense et une cascade, et dominant une vallée à la végétation inextricable. Ce lieu unique donne des sensations fortes, et nous en profitons dans les meilleures conditions possibles : nous sommes le seul groupe.
Si je repense au Machu Picchu qui voit passer des centaines de touristes tous les jours.






Après un petit tour dans les méandres de la Cité, et ses innombrables marches recouvertes de mousse, il faut redescendre à la rivière. Une grosse heure de visite sur 5 jours de marche, c’est peu. Mais la fatalité météorologique nous oblige à penser déjà au retour.
Une fois la rivière traversée, je regarde un câble tendu de part et d'autre et j'y vois une colonie de fourmis portant des feuilles coupées, comme à Tayrona, mais là elles traversent la rivière large de 50 mètres sur le câble ! Je suis FAS-CI-NE.




Déjeuner au camp, et c’est reparti pour 4 heures de marche. Et cette fois on n’échappe pas à la pluie, pas trop forte heureusement mais qui ne nous quitte pas de l’après-midi et rend les chemins boueux à souhait. Atteint par mon mal de tête et une sérieuse perte d’énergie, j’arrive épuisé au camp précédent, comme tout le monde.

De nombreux Kogis sont là, trainent un peu pour nous observer et espèrent récupérer de la nourriture. Toutes les femmes sont pieds nus, c’est censé favoriser leur stérilité. Et à propos de stérilité, on peut voir des mères très jeunes porter leur bébé, certaines ont à peine 12 ans. On nous apprend qu’elles sont mariées (et tombent immédiatement enceintes) dès le premier cycle de menstruation ! Les garçons eux attendent d’être considérés comme des hommes, et reçoivent le poporo, sorte de gourde fermée par un bâtonnet et contenant une poudre de coquillage qu’ils mélangeront avec des feuilles de coca mâchées. La fille ne peut choisir le garçon, elle est choisie. Et si elle se révèle infertile, elle est « rendue » à la communauté.




La nuit est fatale pour moi, je ruine littéralement mon beau lit blanc sous moustiquaire en vidant mes tripes, et finis la nuit assis sur un banc parce que je ne veux pas m’allonger à nouveau. Impossible d’avaler quoi que ce soit, c’est donc parti pour 7 heures de marche sous le soleil qui tape, avec le ventre retourné et vide, avec des montées raides et interminables que nous ne nous souvenions pas avoir descendues à l’aller. Malgré l’épuisement déjà tangible à la pause de midi, le ventre fait toujours blocus. Il faut donc entamer les 3 heures de marche sous un soleil criminel, les jambes portant le corps en pilote automatique. Après quelques traversées de rivières et plongées intégrales de chaussures dans la boue profonde, apparaît finalement le village de Machete Pelao. Fin du trek !

La Cité Perdue, c’est de l’humidité, des centaines de marches glissantes, de la fatigue, des rivières à traverser … mais pas que. Ce fut surtout exaltant !!


Les photos de La Ciudad Perdida sont ICI.

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8 commentaires:

  1. N'as tu pas rencontré Nicolas Hulot ?
    Hier soir ns avons regardé sur TF1 Ushuaïa, cela se passait sur les terres des Kogis qui refusent tout contact avec la civilisation matérialiste !
    Christiane

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  2. Dingue! La cité perdue est passée à Ushuaia Nature hier soir, avec N.Hulot qui la survolait en ballon hélium. Je n'ai vu que 3 minutes, ensuite c'était le Brésil avec le chef Raoni.
    http://www.leblogtvnews.com/article-ushuaia-nature-le-25-decembre-sur-tf1-amazonie-113121216.html

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    1. Incroyable cette coincidence entre notre conversation de l'aprés-midi sur Skype et le reportage du soir sur TF1.
      N'oublie pas d'acheter de l'Imodium avant les treks
      Amitiés de Marie-pierre et Jean-Pierre

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  3. Fabuleux ton récit et Le reportage de Nicolas Hulot. Là la visite est plus que complète et très interessante. On y était!!!
    Maminou

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  4. Encore mieux qu'Ushuaia le reportage photo!
    Mais tu nous a pas mis de photo du gars au slip blanc...
    Dad

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  5. un bon gun à la mad max au beau milieu de la jungle ...

    Tes photos sont sympas;

    Pégé

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  6. Moi, la cité, la jungle c'est bien mais j'adore l'histoire du type au slip blanc, un vrai aventurier! Je veux des images!Et belle année 2013 à toi avec encore des observations sociologiques qui m'amusent beaucoup!
    Marie-Laure

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  7. Voici un livre "Tisserand du soleil" de Kathy Dauthuille.
    C'est un conte poétique illustré et un hommage aux Kogis. On y parle aussi de la Cité perdue :

    http://kathy.dauthuille.free.fr/Tisserand.htm

    Il pourrait vous intéresser.

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