L’autre
morceau de choix qui s’offre aux voyageurs autour de Santa Marta, c’est la
Ciudad Perdida (Cité Perdue). Rien que le nom évoque déjà bien des choses, on
pense tout de suite Cité d’Or, cultures anciennes, mondes magiques et
inatteignables… Bon là j’avoue je fais un peu monter la sauce, mais il y a un
peu de ça quand même.
La Cité
Perdue est donc bien le vestige d’une cité de l’ancienne civilisation Tayrona,
nichée au cœur de la Sierra Nevada, cette belle chaîne de montagne recouverte
de jungle et qui culmine à plus de 5000 mètres juste au bord de la mer. Là vous
me dites, pour qu’elle eut été perdue à un moment donné, il faut au moins un
décor comme ça. C’est pas faux je vous répondrais, mais y a mieux : la
Sierra Nevada est aussi connue pour grouiller d’une faune diverse et peu
accueillante : FARC, paramilitaires, autres groupes armés et notoirement pas
du tout commodes, paysans et guérilleros cultivateurs de coca... Bref plein de
gens bien. Là tout de suite on rigole moins ! Mais bon avec les immenses
progrès réalisés par la Colombie en termes de sécurité, la diminution drastique
de la production de cocaïne, et le développement du tourisme, le chemin vers la
Cité est maintenant réputé pour être sûr, car dûment surveillé par l’armée.
Toute l’année les groupes de randonneurs mêlent leur transpiration à l’humidité
de la jungle pour aller contempler la petite merveille.
La Ciudad
Perdida, c’est comme le Machu Picchu en différent et en plus modeste. Elle a
été fondée vers 800 av. J.-C., 650 ans plus tôt que Machu Picchu. Sa découverte
sent le soufre, sur fond de chercheurs d’or
et de pilleurs qui s’entretuent (plus de détails sur sa découverte ICI). Mais elle est surtout
beaucoup moins accessible donc beaucoup moins fréquentée et plus préservée. A
moins de sortir tout droit de la légion, il faut compter sur cinq jours de
marche aller-retour. Qu’est-ce qui pouvait me plaire davantage ?!
Une Jeep
bien remplie nous extirpe de la civilisation et se met à grimper dans la Sierra
Nevada par un chemin bien défoncé. Nous croisons quelques cabanes très
rustiques et dérisoires, et au bout d’une heure de cahots très préjudiciables à
nos séants respectifs, nous arrivons dans un petit village qui paraît
étonnamment sain pour son isolement, avec des maisons en très bon état. Il
s’appelle Machete Pelao, on m’a dit que le nom serait lié à une certaine
tendance qu’ont ses habitants à régler leurs problèmes à coup de machettes.
Déjeuner et
timide prise de contact avec le groupe pléthorique de randonneurs. Il faut dire
qu’il n’est pas possible d’aller à la Cité Perdue par soi-même, on est obligé
de se joindre à un tour organisé par les agences. Et le prix est non
négociable, plutôt salé d’ailleurs (environ 270 €), pour reverser une partie
aux communautés qui sont « dérangées » et éviter les pratiques
sauvages des agences peu scrupuleuses. Et comme les agences s’entendent bien
ils réunissent les groupes et marchent ensemble pour avoir plus de guides et
mieux gérer les problèmes. Je suis d’habitude allergique aux groupes énormes,
mais pour une fois ça me laisse indifférent. L’observation et l’analyse
sociologique de chaque individu au sein de ce genre de groupe restera un de mes
passe-temps favoris (doux souvenir des voyages UCPA…).
Nous
commençons par une après-midi de grimpette, rien de très technique mais ça
monte et la moiteur nous imprègne, nous détrempe. Le taux d'hygrométrie est de 99% !
Quelques traversées de rivières, histoire d’égaliser le taux d’humidité au
niveau des pieds ; quelques pauses où l’on nous sert de la pastèque, des
oranges comme je n’en avais jamais mangé dans ma vie.
En fin
d’après-midi nous arrivons sur une crête avec une superbe vue sur un vallon et
les montagnes alentour. A flanc de montagne on voit de petites surfaces
dégagées, ce sont d’anciens champs de coca, qui ont été arrachés soit à force
de répression (épandage de gaz par les avions du gouvernement) soit par la dissuasion
(menace de confiscation des terres, ben pire qu’une peine de prison).
Apparemment les choses n’évolueraient déjà plus dans le bon sens (article du
Monde ICI).
Nous
arrivons au campement juste quand tombe l’obscurité, et juste avant que les nuages
se crèvent comme une baudruche. Parfait timing, on y a échappé pour cette fois
mais on ne perd rien pour attendre.
Les guides
sont aux petits soins et cuisinent très bien ; comme dans tout trek qui se
respecte nous allons nous coucher tôt, chacun dans son hamac et sous une
moustiquaire. Juste après avoir évité de marcher sur les énormes grenouilles qui se promènent dans les
douches.
Au lever il
faut soigneusement inspecter et secouer ses chaussures et vêtements avant de
les enfiler, pour s’assurer qu’il n’y a pas de scorpions ou de serpents dedans.
Eh oui mes bonnes gens, c’est la jungle ici ! Et c’est parti pour 4 heures
de marche en montée, en descente, dans la boue, sous le soleil qui tape fort,
dans 100% d’humidité, à travers la jungle luxuriante. Transpiration extrême,
chacun se dégoûte soi-même de sa propre viscosité. Mais la faune est superbe,
comme ce papillon bleu que j’ai difficilement immortalisé.
On croise aussi des porcins, des poules, et des dindons sur le chemin. Il faut à nouveau traverser une rivière, l’eau jusqu’aux cuisses. Puis
on aperçoit le premier village Kogi, l’une des trois communautés indigènes qui
peuplent encore la Sierra Nevada et descendent du peuple précolombien Tayrona.
Ils ne sont pas bavards, vivent encore dans des conditions très rustiques … et
ils me font penser aux indiens de Tintin et l’Oreille Cassée avec leur habit
beige et leurs longs cheveux noirs. Ils portent aussi, enfants comme adultes,
une besace en bandoulière qui ne les quitte jamais. Ils sont vraiment mutiques,
ils nous renvoient timidement la politesse quand nous leur disons bonjour.
On nous
demande expressément de ne pas prendre de photos d’eux sans leur demander la
permission, parce qu’ils considèrent qu’on leur vole leur âme. Et demandent
illico 5000, 10000, 20000 pesos pour le préjudice (le paiement ayant pour effet
miraculeux d’annuler le vol d’âme, ils sont forts ces pesos). Heureusement on
peut prendre des photos des enfants, leur âme serait mieux attachée au corps et
moins facilement volable.
Le camp
nous tend les bras vers midi, avec ses splendides lits parfaitement propres et
blancs sous moustiquaire, un luxe dans un environnement pareil. Lessive basique
des fringues imbibées de transpiration (en sachant qu’elles seront encore
trempées le lendemain matin, rien ne sèche ici), baignade dans la rivière au
courant surpuissant, glandouille au camp toute l’après-midi, et … une énorme
averse qui nous tombe dessus. Ici c’est simple, les matinées sont ensoleillées
et torrides, les après-midis voit le ciel s’abattre sur nos têtes. C’est
systématique, seule l’heure varie légèrement d’un jour à l’autre.
On croise
de plus en plus de Kogis dans les parages. Pendant le dîner (toujours royal et préparé
amoureusement par un des guides malgré la cuisine rustique), un vieux Kogi à l'air hagard et
perdu, voire passablement enfumé, traîne à la cuisine pendant deux heures, nous
regarde circuler avec les yeux d’un enfant timide qui découvre tout, et attend
clairement qu’on lui donne à manger, ce qu’il finit par obtenir.
Après une nuit royale dans ces lits immaculés,
c’est reparti pour une matinée de marche dégoulinante. Un couple de
britanniques reste coincé au camp, lui a le ventre en vrac.
Parallèlement
à la fascinante communauté Kogi, un cas sociologique nous intrigue tous, en la
personne d’un espagnol du groupe qui a tendance à ne pas mettre souvent de
pantalon, pour se promener en magnifique slip blanc, même pendant les heures de
marche. Observation faite, il s’agit d’un maillot de bain, mais tout le monde
pense qu’il se balade en slip. Et le choix du blanc n’est peut-être pas très
judicieux en pleine jungle, la réalité nous donne vite raison mais lui
persévère dans ses choix stylistiques particuliers (j’oublie de dire qu’il a
aussi un marcel rouge et une tête de quarantenaire plantée sur un corps de
garçon, alors forcément c’est difficile de ne pas bloquer). J’avais prévenu que
ce trek virerait à l’analyse sociologique, j’avais prévenu !
Bref nous
essayons d’oublier le slip blanc pour regarder où nous posons les pieds, et rapidement
nous croisons une patrouille de soldats, ils ont été relayés la veille de la
surveillance de la Cité Perdue, après 3 mois à se tourner les pouces hors de la
civilisation. Leur présence est indispensable pour sécuriser les groupes de
marcheurs, mais comme ils sont là il ne se passe rien. Je repère un pétard
impressionnant au sol, d’un style directement issu de la Prohibition. Je
demande l’autorisation de la prendre en photo, que j’obtiens, et voilà le
jouet :
Quatre
heures de marche toujours splendide, montées en sueur, descentes dans la boue,
rivières jusqu’aux genoux,… , jusqu’au troisième camp où nous passons
l’après-midi. J’ai juste le temps de me refaire une beauté dans la rivière
avant qu’un nouveau déluge s’abatte sur le camp. Pff, d’façon on le savait.
Dans le groupe, quelques-uns commencent à tomber au champ d’odeur et se
succèdent aux toilettes, très fonctionnelles fort heureusement malgré
l’isolement en montagne. Etrange début d’épidémie que la fatigue naissante,
ajoutée à l’inconfort de l’humidité permanente, pourrait expliquer … mais pas
que !
Le
lendemain matin, c’est la moitié du groupe qui est touchée par les gentilles
bactéries qui ont de toute évidence été oubliées dans un des repas. Je résiste
toujours, mis à part ma mauvaise nuit et un petit mal de tête. Seul Mister Slip
Blanc est vraiment trop mal en point pour poursuivre.
Seule une heure de marche est nécessaire, sur un chemin étroit et ultra-glissant au-dessus de la rivière, pour arriver au pied des 1200 marches, toutes petites et très glissantes, qui mènent à la Cité. Ce n’est pas pour nous aider à stopper la transpiration, c’est particulièrement éreintant mais le moral est là.
Si je repense au Machu Picchu qui voit passer des centaines de touristes tous les jours.
Après un
petit tour dans les méandres de la Cité, et ses innombrables marches
recouvertes de mousse, il faut redescendre à la rivière. Une grosse heure de
visite sur 5 jours de marche, c’est peu. Mais la fatalité météorologique nous
oblige à penser déjà au retour.
Une fois la rivière traversée, je regarde un câble tendu de part et d'autre et j'y vois une colonie de fourmis portant des feuilles coupées, comme à Tayrona, mais là elles traversent la rivière large de 50 mètres sur le câble ! Je suis FAS-CI-NE.
Déjeuner au
camp, et c’est reparti pour 4 heures de marche. Et cette fois on n’échappe pas
à la pluie, pas trop forte heureusement mais qui ne nous quitte pas de l’après-midi
et rend les chemins boueux à souhait. Atteint par mon mal de tête et une
sérieuse perte d’énergie, j’arrive épuisé au camp précédent, comme tout le
monde.
De nombreux
Kogis sont là, trainent un peu pour nous observer et espèrent récupérer de la
nourriture. Toutes les femmes sont pieds nus, c’est censé favoriser leur
stérilité. Et à propos de stérilité, on peut voir des mères très jeunes porter
leur bébé, certaines ont à peine 12 ans. On nous apprend qu’elles sont mariées (et tombent
immédiatement enceintes) dès le premier cycle de menstruation ! Les
garçons eux attendent d’être considérés comme des hommes, et reçoivent le poporo,
sorte de gourde fermée par un bâtonnet et contenant une poudre de coquillage qu’ils
mélangeront avec des feuilles de coca mâchées. La fille ne peut choisir le
garçon, elle est choisie. Et si elle se révèle infertile, elle est « rendue »
à la communauté.
La nuit est fatale pour moi, je ruine littéralement mon beau lit blanc
sous moustiquaire en vidant mes tripes, et finis la nuit assis sur un banc parce
que je ne veux pas m’allonger à nouveau. Impossible d’avaler quoi que ce soit,
c’est donc parti pour 7 heures de marche sous le soleil qui tape, avec le
ventre retourné et vide, avec des montées raides et interminables que nous ne
nous souvenions pas avoir descendues à l’aller. Malgré l’épuisement déjà
tangible à la pause de midi, le ventre fait toujours blocus. Il faut donc
entamer les 3 heures de marche sous un soleil criminel, les jambes portant le
corps en pilote automatique. Après quelques traversées de rivières et plongées
intégrales de chaussures dans la boue profonde, apparaît finalement le village
de Machete Pelao. Fin du trek !
La Cité
Perdue, c’est de l’humidité, des centaines de marches glissantes, de la
fatigue, des rivières à traverser … mais pas que. Ce fut surtout exaltant !!
Les photos de
La Ciudad Perdida sont ICI.
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N'as tu pas rencontré Nicolas Hulot ?
RépondreSupprimerHier soir ns avons regardé sur TF1 Ushuaïa, cela se passait sur les terres des Kogis qui refusent tout contact avec la civilisation matérialiste !
Christiane
Dingue! La cité perdue est passée à Ushuaia Nature hier soir, avec N.Hulot qui la survolait en ballon hélium. Je n'ai vu que 3 minutes, ensuite c'était le Brésil avec le chef Raoni.
RépondreSupprimerhttp://www.leblogtvnews.com/article-ushuaia-nature-le-25-decembre-sur-tf1-amazonie-113121216.html
Incroyable cette coincidence entre notre conversation de l'aprés-midi sur Skype et le reportage du soir sur TF1.
SupprimerN'oublie pas d'acheter de l'Imodium avant les treks
Amitiés de Marie-pierre et Jean-Pierre
Fabuleux ton récit et Le reportage de Nicolas Hulot. Là la visite est plus que complète et très interessante. On y était!!!
RépondreSupprimerMaminou
Encore mieux qu'Ushuaia le reportage photo!
RépondreSupprimerMais tu nous a pas mis de photo du gars au slip blanc...
Dad
un bon gun à la mad max au beau milieu de la jungle ...
RépondreSupprimerTes photos sont sympas;
Pégé
Moi, la cité, la jungle c'est bien mais j'adore l'histoire du type au slip blanc, un vrai aventurier! Je veux des images!Et belle année 2013 à toi avec encore des observations sociologiques qui m'amusent beaucoup!
RépondreSupprimerMarie-Laure
Voici un livre "Tisserand du soleil" de Kathy Dauthuille.
RépondreSupprimerC'est un conte poétique illustré et un hommage aux Kogis. On y parle aussi de la Cité perdue :
http://kathy.dauthuille.free.fr/Tisserand.htm
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